Hymns to the silence

Rédigé par Rock critique / 30 janvier 1992 /

D’abord il y a cette photo de l’artiste, classique de cet homme au visage renfermé, renfrogné, puis derrière une autre photo, d’une rue triste, une rue de Belfast, Hynford Street, la rue de son enfance, ce n’est pas fortuit, tout l’album tourne autour de cette opposition passé/présent, sur un mode évidemment nostalgique, avec un désir obsédant, l’expression “Take Me Back” revient plusieurs fois, de quitter un aujourd’hui compliqué, confus et douloureux pour un hier où « le monde avait plus de sens » Take Me Back”, justement), hier sublimé, désespérément hors de portée, à jamais, désir de retrouver une vie simple et tranquille qui « garde les pieds sur terre » « Ordinary Life »), voeu pieux et inconsidéré qu’aucun Dieu ne pourra jamais exaucer, auprès duquel l’amour founira toujours le seul leurre réaliste, amour rédempteur élevé au rang de don divin, sur “Quality Street’, notamment, “true love bas blessed me somehow” et plus loin “she can’t be beat, she makes me complete” ou l’amour, donc l’autre, comme seul remède à son moi éclaté.

La musique est bien sûr à la hauteur de l’émotion qui habite les textes tout au long de ce double album, mais je devrais dire les musiques, Van Morrison ne s’est jamais limité à un seul genre et offre ici la diversité habituelle, jazz, blues, rythm’n’blues, country, traditionnel irlandais, gospel même, entouré de musiciens discrets, absolument parfaits, parmi lesquels on reconnaîtra surtout les Chieftains et George Fame, avec, pour liant essentiel cette voix qui semble tomber du ciel, miraculeuse, miraculée, voix du fond de l’âme, belle à vous arracher les larmes, qui joue avec les mots, les portes, les crache, les bous-cule (le très long « Take Me Back », décidément sublime), les fait vivre.

Et défilent les « hymnes au silence »... il y en a vingt et un sur ce disque, c’est peu dire qu’ils sont magnifiques.

Source

Jacques VINCENT, in Best, janvier 1992


Retour aux sources, dans la grisaille de Hyndford Street, a l’est de Belfast. C’est ici, dans le ventre d’une de ces bâtisses rectilignes, que l’adolescent Morrison se forge un (mauvais) caractère. Ces Days before rock’n’roll, sa préhistoire à lui, où le son de Radio Luxembourg et les mots de Kerouac sont des îlots de salut dans le silence qui plombe le quartier dès 11 h 30 du soir. Le rock, le gnome rouquin et hargneux y plante très tôt ses brandilles. C’est Gloria, harangue en six lettres qui fera le tour du monde et de la question rock elle-même.

Dès lors, rien n’intéressera moins Morrison que le rock et ses frasques. Du moment ou il se débarrassera d’Eux (Them), rien n’importera plus pour Van, engoncé dans cette image éternelle du barde mal luné, que de reconstruire avec les miettes de cette madeleine des jours d’avant, un après du rock en en pulvérisant les frontières les plus fières. Tout au long des vingt-cinq années qui séparent Brown eyed girl de ce nouveau et double Hymns to the silence, Morrison s’est employé à bouffer le rock par ses racines.

Une oeuvre colossale, tortueuse, un peu hermétique par moment mais toujours inclassable et donc unique en son genre, en ses genres. Rien de plus normal pour lui, après un tel parcours, que d’aspirer enfin a un peu de sérénité. Depuis quatre ans, Van Morrison s’amuse. Folklore irlandais pur jus avec ses potes et les Chieftains, sex-symbols du genre, variété grand luxe sur Avalon sunset en collaboration avec l’endive Cliff Richard, soul soyeuse sur Enlightenment le bien nommé. C’est précisément sur ces trois tableaux qu’il choisir de jouer tout au long de ces vingt et un titres.

Pas l’ombre d’une circonvolution à la Astral weeks, pas même un de ses discours fleuves et poignants à se mettre sous la glande lacrymale, rien que de l’instantané, de l’entertainment. So complicated sonne ainsi comme un standard be-bop, See me through explose de ses choeurs gospel : il en va ainsi pour tous les titres, y compris les trois que Van the Man avait généreusement abandonnés I’an dernier au purulent Tom Jones et qui retrouvent ici un souffle salvateur. Même le saxo libidineux de Candy Dufler parvient à se faire oublier, tant la grâce de Morrison est ici à son zénith, un Morrison plus que jamais tiraillé entre Dieu et le plaisir.

L’omniprésence de I’un lui permettant finalement de se vautrer plus impunément dans l’autre.

Source

Christophe CONTE, in Les inrockuptibles N°32, Novembre/décembre 91

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