Van Morrison (11), pélerinage murmuré

Rédigé par Rock critique / 08 janvier 2016 /

Le barde alors déborde. Au troisième pas de sa renaissance, une grosse vingtaine de titres, une somme. Gonflé, il appelle ça Hymns to the Silence. Rien d'impertinent. C'est juste que pour atteindre certaine zénitude ou dépouillement, Morrison emprunte des tas de chemins, tantôt sinueux, tantôt droits comme l'allée tracée vers quelque nef d'un trait plus ferme. Il aime marcher. Ça lui procure un début d'apaisement — qu'on ne s'y trompe pas, et Some peace of mind met les points sur les i : rien n'est gagné, il cherche encore. Sa mauvaise humeur peut en un déclic reprendre une nouvelle fois le dessus (Professional jealousy). La ballade aiguise aussi les souvenirs. Ce sont les meilleurs recoins du double-album : à côté des hymnes solennels (By his grace, Be thou my vision…) fleurissent les réminiscences et revoici les contours du pays d'Astral Weeks, les mêmes rues reparcourues, les après-midi mordorés, les figures d'un passé ressurgi des limbes, les sons du silence, les paradis perdus.

Take me back est le long générique de cette veine-là. Oh, le temps où tout sous le ciel avait plus de sens… La musique rare filtrée par les ondes radio… Le vernis de sagesse déposé par les années se craquèle à la moindre occasion. Passe la silhouette hasardeuse d'un Village idiot : he's complicated… he's got a simple mind… Se dessine l'esquisse d'un Van bedonnant prêt à jouer l'idiot du village global rock, lui qui mit tant de zèle à en fuir le cirque. On tourne au coin de la rue, modeste alignement de maisons collées les unes aux autres et Van Morrison baisse la voix, chuchote, attention, son enfance veille, on le regarde, on l'écoute, c'est Hyndford Street.

Il est né là, des images gravées à jamais en lui rôdent encore entre ces bâtisses en brique, près de la Beechie River, des noms reviennent, mantras murmurés, Abetta Parade, Orangefield, St Donards Church… Pas un passage des aveux, juste un retour cyclique, cérémonie secrète, célébration muette, ou presque.

© FRANÇOIS GORIN, Télérama, Janvier 2016

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