Poetic Champion Compose

Rédigé par Rock critique / 20 février 1988 /

La maison de disques m’avait prévenu : »Oh, celui-là, c’est un chanteur qui n’a pas de biographie, il n’a jamais voulu ». Amusant, et même un peu tragique, mais finalement assez lourd de sens : Van Morrison n’est plus désormais que l’affaire de quelques-uns, au même titre que tous ces créateurs solitaires, excentriques et définitivement en marge.

Destin logique pour un personnage qu’on devine bougon et qui ne se livrera de toutes façons jamais autant que dans ses chansons. Nouvel album donc, et tout de suite, dès l’intro instrumentale où domine le saxophone alto du leader (le disque se clôturera de même), sentiment de continuité vis-à-vis de la livraison précédente, le très beau No guru, no method, no teacher (1986).

Les musiciens ont pour la plupart changé, mais quelle importance, puisque subsistent les vagues musicales de l’Irlandais, sa voix en tourbillons, la ferveur de l’inspiration et les racines blues et soul. Aujourd’hui, Morrison est allé trop loin pour changer : il s’enfoncera à chaque oeuvre davantage dans sa quête, finalement plus philosophique que musicale, insensible bien sûr aux modes mais aussi aux grands courants contemporains. Il s’agit ici d’introspection, donc de grands sentiments, sans nuance péjorative : le mystère des relations humaines, la sagesse et la sérénité dans la foi, la plénitude. Tous, concepts un peu trop près de l’os pour être évoqués par un médiocre.

Dieu merci (voilà que je m’y mets), Van est un chanteur considérable, et, pour tous ceux qui pourraient être rebutés par les lignes qui précèdent, son Poetic… est un souffle formidable de lyrisme. J’ai fini. Vous pouvez courir l’acheter.

Source

Christian LARREDE, in Nineteen, février 1988


Encore une fois, « Poetic Champion compose » (gasp !) confirme que les années 80 sont pour Van Morrison une période de stabilité, de maturité et de bonheur, en s’inscrivant dans la lignée mystique-jazz-celte de tous ses albums depuis au moins « Into the music ».

Cela ne manque pas d’ennuyer ceux qui n’aiment Van the man que déchiré et douloureux, mais lui s’en fout manifestement, sans qu’on puisse lui donner tort. On ne saurait même pas parler de piétinement artistique, tant Morrison y met de lui-même: il ne peut tout simplement pas faire une autre musique, sauf à se départir de la sincérité qui rend toute son oeuvre si émouvante – y compris ces dernières années, pour peu d’avoir changé. Pour ma part, je ne me lasse pas de cette voix comme burinée par les embruns et qui ne perd rien de sa passion en se mettant au service de la sérénité, et de son écrin feutré où cuivres soul et violons irlandais se tendent la main au-dessus de l’Atlantique. Sans doute parce qu’il est inimitable, ce qui compte (on peut se fatiguer d’un style quand il est trop pillé et dilué par des plagiaires sans talent), mais aussi parce que Morrison sait mieux que quiconque faire partager ses sentiments à l’auditeur qu’une dose de calme et de poésie n’est pas à négliger de temps en temps.

Source

Thierry CHATAIN, in Rock&Folk, octobre 1987


Toujours cette gueule de marin qui vient d’avaler sa pêche. Et toujours un de ces titres a vous flanquer le mal de mer.

Van Morrison, irlandais par excellence – et cousin par alliance d’un autre, James Joyce, forcené du verbe, lui, et du verre, comme tout un chacun là-bas, et mort de ces chers maux (?)- cumule sous son ciré bougon autant de tares affreuses que d’albums à son actif : l’homme n’est pas jeune – ne I’a été qu’un jour honni, celui où, furieux, il composa comme vous gerbez tous les hits des Them, pas du gâteau, oh misère, « Gloria » ! -, pas ravissant vraiment – son charme a la patine d’un drame trempé et la rugosité d’une foi bilieuse- son inspiration rame après un Dieu mi-baleine mi-requin propre a vous rendre Achab – pas Abacab, notre héros ignorant les faisans -, et sa voix vous vrille les tympans pis qu’une corne de brume – on en tressaille encore longtemps après qu’elle ait fini de résonner -, et monsieur brame depuis des lunes que l’air de ce temps et le plancher des vaches lui valent aussi peu à l’âme qu’un bain de sent-bon à une grand-voile… Bref, à ne guère l’écouter, on n’a que ce qu’on mérite… Juste flagellation. Surtout que même s’il est arrivé au vieux loup d’impréquer à tort et à travers, pas un de ses disques ne manque de toucher très profond, ses deux ou trois plus récents allant jusqu’à récupérer, sinon l’acre splendeur d’ »Astral Weeks , du moins la vaste et goûteuse générosité harmonique de « Veedon Fleece » ou « Wavelength » .

Mais ne vous fiez pas trop a ces nuances mesquines, je parle là d’un type que Dylan jalouse et qui hante Costello : un Van à plat vogue bien plus loin, en ricanant, que dix jeunots du même port quand ils souquent. Et le Van de « Poetic Machin Chose » est plus gonflé qu’une outre, beau en dedans à nous crever la panse.

Source

François DUCRAY, in Best, novembre 1987

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