Van Morrison (5) revient rôder dans son jardin

Rédigé par Rock critique / 03 décembre 2014 /

Quand je suis arrivé à Rock & Folk en 1980, c'était un chouette moment pour écrire sur The Cure et Talking Heads (sans même parler d'Elvis Costello !). Mais c'était un sale moment pour écrire sur Bob Dylan ou Van Morrison. Or ces deux-là comptaient beaucoup. D'où frustration.

La différence, c'est qu'un nouveau Dylan, même franchement médiocre, était encore un événement — idem pour les Stones. Tandis que le dernier Van Morrison, tout le monde s'en foutait. Seule une poignée de fans dépités guettait le retour de flamme, celle qui illuminait sa grande période, de Astral Weeks (1968) à Tupelo Honey (1971).

Les albums passaient, interchangeables et assommants, le chanteur mystique avait viré scientologue et la seule fois où j'ai pu le rencontrer, il maugréait des onomatopées dans son style traditionnel. Van Morrison n'avait jamais rien fait pour plaire — ce qui le distingue de, disons, Mick Jagger —, il n'allait pas commencer au moment où même les critiques le lâchaient.

On sentit souffler un vent de renouveau avec Irish Heartbeat (1988), son album celtique avec les Chieftains. Mais l'éternel bougon avait déjà remonté la pente avec les trois précédents. Sur la pochette de A Sense of Wonder, Morrison arborait le sourire de Bernardo. Le titre du suivant rassurait sur sa santé mentale : No Guru, No Method, No Teacher. On passait, le poing raffermi, du laconique Thanks for the information (avec le never give the sucker an even break cher à W.C. Fields) et son glorieux riff de saxo, à l'époustouflant In the garden, où le barde libéré, moine et fauve à la fois, nous emmène dans son jardin secret, se retenant de rugir en chuchotant. Wet with rain (comme dans The Way young lovers do), le narrateur et sa compagne font devant nous l'expérience d'une illumination qui ne doit plus rien à Ron Hubbard, un peu à l'imagerie chrétienne et tout le reste à la musique. Just you and I and nature…

Van Morrison a alors 40 ans et il cherche encore la clé de l'âme.

à suivre

© FRANÇOIS GORIN, Télérama, Décembre 2014

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