Van Morrison (9), penser à prendre une boîte de harengs en cas de fringale Rédigé par Rock critique / 06 janvier 2016 / Les trois premiers morceaux de la face une sont très bien mais font surtout office d'échauffement. C'est avec Have I told you lately que l'album décolle vraiment. Old Van a le don de couler ses habituels borborygmes dans la pâte mélodique. Les violons le soulèvent. Je le trouve aussi fort en équilibre instable au bord du kitsch sentimental que dans ses incarnations précédentes. Il a suffisamment fait ses preuves dans le genre boule de nerfs ou bloc de blues. On peut juste réécouter Beside you ou T.B. Sheets pour s'en assurer. Dans la quête renouvelée de son Avalon mythique – certes moins langoureux que celui de Bryan Ferry quelques années plus tôt – il reste droit, obstiné, et toujours un peu furieux même sous un kilo de miel. Van Morrison peut se permettre. Là où les violons de Have I told you lately l'avaient porté, il repart en balade. Ce n'était donc pas si haut dans la stratosphère. Par on ne sait quel toboggan des nuages, le voici à Coney Island. Pas du tout le parc d'attractions new-yorkais. Un spot côtier pour amoureux, au sud de Belfast, suivez le guide : coming down from Downpatrick… drove through Shrigley… Google Maps ne nous dit rien de ce que voit le barde en goguette. La chanson, elle, parle, glissant en majesté son spoken word sur le même tapis de violons. Il est ici question de plaisirs simples et de nourritures terrestres – on s'arrête à Ardglass pour acheter des moules et des harengs en conserve au cas où la fringale surviendrait avant le dîner… Tout le morceau est nimbé d'une ambiance irréelle que la voix rogomme et familière de Morrison ne cesse de ramener sur terre. Le contraste est d'un effet saisissant. Jusqu'à cette chute qui vous nouerait les tripes sans la légèreté de la phrase musicale : wouldn't it be great if it was like this all the time ? Après quoi la complainte I'm tired, Joey boy peut bien rechausser des sabots plus pesants : sur l'élan gagné par Coney Island, dans la foulée, la face est close en beauté. à suivre © FRANÇOIS GORIN, Télérama, Janvier 2016