Il y a à peine deux mois, Van Morrison publiait Roll with the punches, album constitué essentiellement de reprises de blues et de R’n’B. Honnête, d’autant plus qu’il y était accompagné de fines gâchettes, dont le trop rare Jeff Beck. On peinait toutefois à masquer notre déception, l’Irlandais paraissant renouer avec la routinière efficacité qu’il avait miraculeusement abandonnée l’année précédente pour l’inespéré Keep me singing, son disque le plus inspiré depuis des lustres. D’où une certaine méfiance à l’annonce de ce Versatile lâché dans la foulée, cette fois-ci dévolu, outre une poignée d’originaux, à des standards du jazz ou du fameux « great american songbook ». A-t-on vraiment besoin et surtout envie d’entendre une version de plus de Makin’ whoopee, I get a kick out of you ou d’Unchained Melody ? Pour le dernier, non, clairement, considérant le peu de cœur que Morrison met à l’affaire. Mais il s’agit plutôt d’une malheureuse exception, le vieux bougon, sans forcer son talent pour autant, semblant prendre un réel plaisir à interpréter ces chansons qu’il aime d’évidence profondément. Alors, instantanément, comparé aux hordes de crooners interchangeables qui se livrent à l’exercice, le chant, unique, aux intonations inattendues, aux déraillements divins, fait toute la différence. Let’s get lost rend d’autant plus hommage à Chet Baker qu’il n’est pas question de le singer, et ailleurs, enrobé d’un orchestre au délicat swing ellingtonien, Van Morrison roucoule sans retenue avec une bonne humeur communicative. Un bonheur, même pas coupable.
Hugo Cassavetti , in Télérama n°3544, décembre 2017