Il a fallu attendre près de cinquante-cinq ans pour voir Van Morrison retrouver son esprit rebelle, celui de l'ère Them. Hélas, c'était pour une série de morceaux anti-confinement, sortis l'automne dernier au plus fort de la deuxième vague, les rendant légèrement à côté de la plaque.Toujours privé de scène, il rempile aujourd'hui avec un double album, où on ne sait pas si le "Volume 1" est une boutade ou une menace. Morrison est bien sûr un vieux routier. Il arrive toujours à trouver une petite touche qui sort un arrangement de la routine et masque les similitudes avec un titre de "Moondance" ou de "Saint Dominic's Preview". Mais en vignt-huit morceaux sur plus de deux heures, le cocktail soul et rhythm'n'blues devient forcément hyper-répétitif. Et surtout rance. C'est un secret de polichinelle est un grand bougon imbu de lui-même, qui ferait passer Charles Aznavour pour un humaniste. Mais au lieu de cantonner comme d'habitude ses ronchonneries à un ou deux titres par album, il multiplie ici les sujets : l'industrie du disque, le confinement (encore), la psychanalyse, les médias, la pensée unique, le politiquement correct, les réseaux sociaux, les gens qui n'écoutent pas ce qu'il a à dire... Le problème, c'est qu'il le fait avec la subtilité et l'humilité d'un septuagénaire moyen croyant régler définitivement une question de société avec un commentaire sur le site du Parisien. "Why are you on Facebook ?" martèle ainsi cinquante et une fois son titre, entre deux platitudes sur le quart d'heure de célébrité cher à Warhol. Au lieu de se trouver autant d'adversaires, Morrison ferait peut-être mieux d'affronter son vrai pire ennemi actuel : le contrôle-qualité.
François Khan, in Rock&Folk n°646, juin 2021