Days like this

Rédigé par Rock critique / 30 avril 2019 /

Van Morrison affiche l’obésité satisfaite d’une barrique enflée à la bière, mais il échappe au pathétique. Il fait craquer le même album chaque fois qu’un vulgaire coup de vent le pousse du haut de l’escalier, mais il s’abstient d’être ennuyeux. En fait, si la forme musicale que professe le vieux druide depuis Astral weeks, ce pop-jazz souple et chaviré sous la houle d’humeurs travaillées jusqu’à l’extase s’est peu à peu figée, sa capacité d’émerveillement en revanche ne donne aucun signe de tarissement.

Cela nous vaut des albums comme ce Days like this dont l’écriture ne recèle aucune surprise, où l’agencement (cuivres, section rythmique, piano, guitares à la George Benson) pourrait servir de parangon au concept nouveau-né du stéréophoniquement correct que la personnalité rugueuse et passionnée du mégalithe chantant vient ébrécher.

S’il n’y a rien de neuf à attendre de Van The Man, prétendre qu’il sent le faisan trahit un sens olfactif dénaturé par la mauvaise foi, On trouvera ici un soupçon d’exaltation supplémentaire qui le rattache aux cuvées spéciales type Tupelo honey ? son album de 1971 qui suivait son mariage avec la sylphide Janet Planet.

Doit-on le nouvel état de grâce de ce Days like this aux récentes épousailles qui viennent d’unir le Belfast Cowboy (51 ans) à Michelle Rocca (30 ans), ancienne Miss Irlande et ex-femme d’un arrière de l’équipe de foot de l’Eire ? Si son sourire éclaboussait la pochette de No prima donna, compilation de révérences faites par la jeune génération au répertoire, sa présence semble requinquer les muses fanées du vieux bougon. A croire que cette configuration nuptiale réussit à convertir le très nunuche Je veux te faire l’amour l’après-midi en une confession d’homme mûr délicate et sentie. La perspective de pancakes chauds et d’un bain de pieds à la moutarde préparés par madame après le travail lui fait lâcher cette profession de foi sereine frappée au bon coin de l’évidence I am a songwriter.

Mais les disques de Van Morrison ressemblent trop à l’homme lui-même, né sous ce ciel d’Irlande, changeant et ombrageux, pour croire définitives ces quelques éclaircies. Que viennent rapidement perturber le menaçant Underlying depression et le défaitiste You don’t know me, reprise d’Eddy Arnold honoré autrefois par Ray Charles. Madame est prévenue.

Source

Francis DORDOR, in Les Inrocks, novembre 1994


Accueilli tièdement lors de sa première parution en 1997, “The Healing Game” est l’objet d’une réédition généreusement pourvue en face B, prises alternatives et inédits. Il est temps de réévaluer cet album enregistré au cours d’une décennie faste pour Van dont les productions s’invitent alors régulièrement dans le top 5 britannique.

Après deux escapades jazzy avec les fidèles Georgie Fame et Pee Wee Ellis, notre bluesman mystique renoue avec le rhythm’n’blues sur un mode nostalgique. Quand il ne rend pas hommage au doo-wop, sur “This Weight”, ou au Belfast de son enfance, sur “Burning Ground”, il converse avec la cornemuse de Paddy Moloney ou invoque son frère Snake, Jim Morrison, sur “Waiting Game”.

Les deux CD bonus ne sont pas moins précieux. Si les duos avec John Lee Hooker étaient connus, en revanche, la récréation rockabilly en compagnie de Carl Perkins est aussi inédite que réjouissante et rappelle que Van est aussi un enfant du rock’n’roll, voire du skiffle,lorsqu’il revisite le “Mull Skinner Blues” de Jimmy Rodgers avec le parrain du genre, Lonnie Donegan. En studio, notre homme s’autorise rarement plus d’une prise par morceau et s’interdit tout re-recording.

Autant dire que la scène est son élément. C’est ce qui fait l’intérêt de ce troisième CD consacré à son passage au Montreux Jazz Festival. Ce 17 juillet 1997, accroché à son micro, les yeux mi-clos, à la tête de son celtic soul band, le petit homme en noir mêle extraits de “The Healing Game” et classiques de son catalogue et... semble même s’amuser ! On allait oublier cette voix. Cette voix qui guérit.

Source

Pierre MIKAILOFF, in Rock&Folk 620, avril 2019

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